1995. Naissance d'Ivanka, deux ans après que la famille Avery se soit réfugiée à Soliterre.

L'aînée de la première branche n'est pas aussi désirée que le frère qui suivra. Surtout, c'est l'indifférence qui les biberonne tous deux. Le père est résigné depuis longtemps à la malédiction et ses conséquences ; la mère, en colère d'en être devenue la victime collatérale. Incapable d'exprimer l'amour pour ses enfants - en a-t-elle jamais vraiment eut à revendre ? - elle remplace l'affection par la haine, les mots doux par les insultes et la colère.

Evzen, Ivanka et leur petite sœur s'unissent brièvement pour se protéger les uns les autres. L'adolescence, les jalousies et la violence maternelle finissent par faire exploser leur fragile alliance.

2006-2013. Le chemin est déjà tout tracé pour l'aînée. Elle devra rejoindre Oursbatis pour plus tard devenir l'ingénieure de ces murs, la sorcière apte à s'occuper des cellules magiques de Porte-au-Ciel.

Habituée depuis très jeune à suivre un parent ou l'autre dans les couloirs de la vénérable prison, cet avenir ne la perturbe pas outre mesure, bien au contraire. Le reste de Soliterre lui est étranger, inquiétant même : elle préfère le silence morne ou les quelques cris des prisonniers au bavardage futile animant les autres quartiers de l'île. L'IMES lui fait d'ailleurs le même effet et en peu de temps, on l'étiquette comme beaucoup de membres de sa famille. Étrange, trop silencieuse. Folle, peut-être ? Les brimades et les regards de travers se multiplient au fil des années, et même si elle trouve une alliée inattendue chez une Flint en tout point son opposée, le masque d'indifférence finit par se craqueler.

Sa vengeance est aussi rusée que vicieuse. Elle glisse des potions aux effets humiliants dans les boissons de ses bourreaux, et bien vite, la rumeur de sa culpabilité fait passer l'envie à qui que ce soit de s'en prendre à elle. Les insultes sont toujours là, mais s'expriment désormais dans son dos. Ce moment voit naître son surnom, bien peu utilisé de nos jours mais qui lui colle à la peau parmi les sorciers l'ayant connu à l'école. Le Fléau.

En vérité, ses parents ont un plan bien précis : l'utiliser pour faire tourner leur trafic de plus en plus lucratif. Qui pourrait suspecter une jeune femme sans titre, sans ambition perceptible et au visage de poupée - dans une famille dirigée par les hommes ? Un doute persiste, encore maintenant. Si elle se fait attraper, la protégeront-ils ou est-elle destinée à être sacrifiée à la justice ? Au fond, elle connaît la réponse bien qu'elle se refuse encore à l'accepter.

À peine sortie de l'IMES, on la fiance à Basile Gaunt. Un inconnu pour celle n'ayant jamais touché ni homme, ni femme. Un devoir de plus à accomplir sans broncher.

Dans un coin de son cœur, la graine de la rancune germe à la vue de son petit frère. Destiné à être seigneur et à devenir le directeur de Porte-au-Ciel. Pourquoi pas elle ? Elle connaît cette forteresse mieux que quiconque, elle en a étudié chaque mur, chaque pierre, chaque sortilège.

Pour ne rien arranger, le cadet se pavane. Comme s'il pouvait échapper au malheur de leur malédiction en s'accrochant à ces quelques bribes de pouvoir.
Comme s'il le méritait vraiment...

2015. La voilà mariée. Silence et détachement sont ses maîtres mots, et son approche de cet homme ne fait pas exception.

Le doute s'invite parfois, l'ombre d'un espoir. Ils ne sont pas si différents. Les Gaunt la traitent comme une inconnue mais Iva ne s'en formalise pas, habituée à ce traitement. Basile, en revanche, est doté d'une douceur qui lui fait l'effet d'un coup de tonnerre. Son monde prend brusquement des couleurs jusque là ignorées, mais les mots ne lui viennent toujours pas. Pour une Avery, ils ne viennent jamais. Elle lutte brièvement, telle une mouche prise dans une toile, avant de se résigner comme son père avant elle.

Elle se promet en revanche de ne pas ressembler à sa mère, surtout avec l'enfant à venir.
La promesse est silencieuse, comme tout ce qu'il se passe dans ce foyer froid et morne. Basile la laisse choisir leur nouvelle maison, leurs meubles, leurs tableaux. Petit couple à l'apparence lisse, d'un profond ennui aux yeux des mondains. Ils reçoivent parfois, comme il se doit, mais aucun ne fait un excellent hôte.

2016. Sidonia. Un miracle se produit quand elle réalise que l'enfant n'a pas besoin de mots pour comprendre. Cet amour là, contrairement à d'autres, peut être silencieux. Il se cache dans les gestes, les sourires et les regards. Dans le son d'une berceuse, dénuée de mots doux mais aux notes apaisantes. Pourquoi sa propre mère ne l'avait-elle pas perçu ? Est-elle finalement différente de ses paires ?

2018. Son père meurt. Elle l'aimait, et peut-être qu'il l'aimait, lui aussi. Elle ne saura jamais, n'est-ce pas ? Son deuil est muet, presque invisible à part pour Basile - mais quand il tente de la soutenir, elle le rejette avec une froideur cinglante. Le silence a toujours été facile, réconfortant. Pourquoi devient-il insupportable au contact de l'époux ? Pourquoi se laisser submerger maintenant ?

Derrière des portes fermées, Ivanka trouve des moyens de laisser libre court sa frustration.
Au mieux, ses actes sont contestables. Hurler sur la nourrice, frapper l'elfe de maison pour une broutille.
Dans l'enceinte de Porte-au-Ciel, dérobée aux regards des citoyens, la sorcière se laisse aller à d'autres vices plus violents. Les prisonniers deviennent ses bouc émissaires, sous prétexte de calmer la faim dévorante qu'Iva prête à l'éminente forteresse.
Sa forteresse.