un. Prince, le nom qui lui laisse un goût d'amertume sous la langue. Bâtarde dirigée à la baguette, Arabella a toujours su où était sa place, et quels étaient les desseins familiaux. Répugnée à courber l'échine, l'éclat qui brille dans son regard est autant horripilé qu'assassin. Elle connait le sort qui a été réservé à quelques bâtards, certitude qui l'incite donc à prouver aux siens qu'elle n'est pas, et n'a jamais été, un problème. Lippes scellées, alors qu'elle n'en pense pas moins, Arabella est passée maître dans l'art de prétendre, de magnifier ses airs hostiles afin d'en limer les contours tranchants. Pour autant, elle ne s'oublie pas au profit de ce personnage ravissant qu'elle invente; et le naturel, aussi féroce que le sien, refait parfois surface. Le corps vibre à mesure que les battements de cœur prennent de l'ampleur, mâchoires serrées en de douloureux sourires, alors qu'il ne lui faudrait que d'une impulsion mal placée pour dégainer sa baguette.   

deux. Ainsi, ses idéaux politiques tranchent sensiblement avec ceux de son entourage. Prudente, Arabella ne s'exprime guère à ce propos, se contentant de suivre le chemin pavé qui a été tracé par ses aïeux. En somme, elle est de ceux qui haïssent avec ferveur, et qui s'abandonnent à de nombreux fantasmes où le brasier avale et dégueule les plus odieux. Peut-être l'est-elle devenue également, odieuse, à ravaler sa bile à s'en écorcher la trachée, à considérer l'autre comme un ennemi qu'il faut absolument évincer. Le caractère sympathique de certains, bien que rafraîchissant, lui importe finalement bien peu. Tous logés à la même enseigne, car tous ont été crachés par ce microcosme au sein duquel elle peine à vivre paisiblement.

trois. A l'aube de ses dix-huit ans, que les dents animales déchirent sa peau, percent ses chairs et la damnent. Arabella est consciente de la malédiction qui pèse contre sa nuque, os qui craquent et corps qui fond lorsque la lune est pleine, et haute dans le ciel. Bouleversée à l'époque, alors qu'elle avait espéré y échapper. Je ne suis pas une vraie Prince, je ne suis pas une vraie Prince. Hurlements qui ont explosé dans la nuit, mais rien n'a été susceptible de la sauver. Dire qu'elle vit mal sa condition serait un euphémisme, rongée par un ressentiment qui l'aveugle encore aujourd'hui, la sorcière est incapable de comprendre l'attrait des siens à l'égard de cette condition monstrueuse qu'elle étouffe de potion Tue-Loup. Peut-être l'aurait-elle mieux appréhendée, si elle avait été traitée avec intégrité tout au long de sa vie.

quatre. Et dans toute cette mêlée d'émotions, qu'elle parvient à réprimer, sa vision de la justice est pervertie. La rage en étendard, Arabella veut tous les voir flamber. On parle d'années à se taire, à observer et à cogiter; à repérer les failles, et à vouloir s'y incruster absolument. Elle n'a jamais connu que Soliterre et ses frasques. Se demande si, en bas, la vie est différente et si, dans l'fond, elle n'y trouverait pas un semblant de sérénité. Est-ce que la chasse aux sorcières n'est finalement pas préférable au spectre glacé d'une hiérarchie au bas de laquelle elle est tombée ? Semblant d'urgence imprimé dans les rétines, Arabella attend pourtant. Attend son heure, attend le moment où la déraison s'emparera d'elle, et où les circonstances lui permettront de dégueuler son fiel.

cinq. Besoin de se retrouver, de s'écouter et, surtout, de dégager ce qui l'encombre au quotidien. Gorge serrée, prunelles qui s'enflamment et jonction des lèvres qui s'étire en une multitude de sourires forcés. Arabella expie sa colère dans les potions, et notamment dans les poisons. Il y a quelque chose de thérapeutique lorsqu'elle façonne ces élixirs nuisibles, à tout mesurer avec minutie, à se concentrer sur le mélange des produits. Si elle ne les utilisera probablement jamais, penser qu'elle le pourrait l'apaise car, sournoisement, la sorcière est certaine qu'elle aurait l'avantage. Potions qu'elle revend donc au marché noir, histoire de se mettre un peu de fric de côté.

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